lundi 7 décembre 2015

Pour un peu de chaleur


© Vincent Héquet

Pour un peu de chaleur


Clotaire avait été un bonhomme affable et enjoué qui vouait une véritable passion pour les livres. Il possédait une collection de bouquins rares qu’il caressait avec amour. Grâce à la lecture, il voyageait par la pensée aux quatre coins de la planète. Chaque semaine il avait coutume de descendre au village et contait inlassablement des histoires aux enfants sur la place.

Suite à une longue maladie, Clotaire avait perdu sa femme mais aussi toutes ses économies, depuis il s’était refermé sur lui-même. Il avait toujours la mine renfrognée, était devenu peu loquace, ne descendait plus au village et vivait en reclus dans son petit chalet en bois à l’écart sur la colline. Plus personne ne grimpait jusqu’à lui, on semblait l’avoir oublié, il avait le cœur lourd.

L'hiver approchait, il promettait d'être rude. Clotaire qui vivait hors du temps, n'avait pas prévu ce détail. Ses conditions de vie étaient précaires, eau, électricité, rien de plus comme confort. Quand le froid commença son offensive, il prit alors conscience qu’il ne s’y était pas préparé, il rassembla fébrilement l'ensemble de ses laines, chaussettes, vêtements fourrés.... cela ne suffisait pas. Le froid le transperçait et il n’avait pas fait provision de bois. Comment faire pour traverser cet ’hiver ? Les forces lui manquaient déjà.

Un matin, il décida d’aller faire un petit tour pour se dégourdir les membres et ramasser quelques brindilles. Cette activité l’aiderait sans doute à se réchauffer, en entrant il ferait un petit feu de la cheminée.

Dehors le froid vif le surprit et lui piqua le visage. Tandis qu’il marchait d’un pas peu assuré, il glissa sur une plaque de verglas. Soudain une sourde douleur le saisit au bras. En rampant, avec peine, il fit demi-tour pour rentrer chez lui. Il s’affala sur la chaise la plus proche, n’ayant plus de téléphone, il ne put appeler les secours. Il saisit alors une bouteille de whisky, avala de grosses goulées puis se fit une écharpe avec les moyens du bord pour entourer son bras et alla finalement s’installer dans sa bibliothèque.

La douleur lui crispa le visage tandis que le froid le gagna peu à peu en l’engourdissant. Dans un sursaut pour se réchauffer, Clotaire saisit un de ses livres l’arrosa généreusement de whisky et le jeta dans la cheminée où quelques brindilles finissaient de brûler, une flamme s'éleva et le livre commença à se consumer, il observa fixement le feu grignoter voracement les pages, les lignes rétrécir pour enfin disparaître tandis que son cœur se serrait et se liquéfiât à voir ce spectacle ; c’était comme si son corps prenait feu sous ses yeux. Il lança encore un autre qui ne lui procura qu’une toute petite chaleur, et un autre et encore un autre « La Peste » de CAMUS et il allait basculer dans l’inconscience quand il entendit des coups sourds à la porte.

Avec peine il se leva et se traîna jusqu’à la porte qu’il ouvrit avec difficulté. Le vent s’engouffra dans la pièce avec rage ce qui le fit chanceler.

Deux hommes du village étaient là devant lui, ils étaient venus lui rendre visite suite à l’annonce des températures particulièrement froides pour cette nuit. Un léger sourire se dessina sur ses lèvres. Une bouffée de chaleur lui saisit tout le corps.

Il était sauvé et ses livres avec lui, l’école du village hériterait bien de son trésor comme il l’avait toujours voulu.

7 commentaires:

  1. Décidément la peste de Camus en a inspiré plus d'un, quel créve-coeur d'être obligé de choisir entre sa bibliothèque et sa vie, j'avoue que je serai bien malheureuse d'avoir à le faire.

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  2. Si je dois choisir,je choisis la vie car les mots dans les livres ont déjà imprégné mon esprit...En plus tous les jours d'autres voix se lèvent pour revisiter les émotions éternelles...

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  3. ah tout de même une histoire qui finit bien :-)

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  4. Je pense que cette histoire pourrait être vraie, c'est bien vu

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  5. malheureusement il existe des gens qui sont isolés par ces températures mais personne ne vient les voir. Très jolie histoire

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  6. une belle lueur d'espoir dans la conclusion du texte dans ce monde du "vivre ensemble" où le concept prend tout son sens ;) merci ;)Nady

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